L'Annonciation à Marie

Considérons, en premier lieu, ce qui se passa dans le ciel, quand arriva le temps que Dieu notre Seigneur avait marqué pour se faire homme. Représentons-nous la Très Sainte Trinité assise sur un trône éclatant de gloire. Elle se propose de faire connaître à l'humble Vierge qui doit être la Mère du Verbe incarné, tout ce qui concerne ce mystère, et elle se détermine à lui envoyer une solennelle ambassade pour l'engager à accepter cet honneur. L'évangéliste saint Luc raconte le commencement de cette histoire en ces termes : « Dieu envoya l'Ange Gabriel dans une ville de Galilée, nommée Nazareth, à une Vierge qui avait pour époux un homme de la maison de David, appelé Joseph, et le nom de la Vierge était Marie » (Luc, 1, 26-27). Au sujet de cette ambassade, examinons quel est celui qui l'envoie, celui qui en est chargé, celle à qui elle s'adresse et quel en est l'objet, en nous efforçant de retirer de ces considérations quelque utilité pour notre âme.

1. Celui qui l'envoie est le Dieu tout-puissant, qui sans avoir besoin de ses créatures, mais uniquement parce qu'il est bon, et pour faire du bien aux hommes, se plaît à communiquer avec eux, leur envoyant des messages et des ambassades, et employant à cette fin, comme serviteurs, des créatures aussi nobles que sont les anges. Ils sont en effet, comme dit saint Paul, « les envoyés du Très-Haut, et viennent de sa part exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut » (Hebr. 1, 14). Or, leur service consiste à descendre et à monter continuellement l'échelle mystérieuse que vit Jacob, afin d'apporter aux hommes les ordres de Dieu, et de reporter vers Dieu les prières et les vœux des hommes.

Ô Dieu d'une majesté infinie, qu'est-ce que l'homme pour que vous daigniez vous souvenir de lui ; et le fils de l'homme, pour que vous envoyiez ainsi les esprits célestes le visiter ? Que vos anges eux-mêmes vous louent de l'amour si tendre que vous avez pour nous !

2. Celui qui est chargé de cette ambassade est un des premiers archanges. Il s'appelle Gabriel, nom qui signifie force de Dieu, pour marquer la vertu toute-puissante, et du Seigneur qui l'envoie, et de celui qui doit se faire homme, et des œuvres que fera un jour le Verbe incarné, et des ministres qu'il emploiera pour les publier dans tout l'univers. C'est de ces hérauts de l'Évangile que le céleste ambassadeur est la figure. Plein de la vertu du Très-Haut, il est assez fort et assez puissant pour exécuter tout ce qu'il pourra lui commandera, non seulement dans une occasion aussi glorieuse que celle-ci, mais dans toute autre circonstance, quoique moins éclatante. Car toute sa gloire est de faire ce que Dieu veut ; aidé du secours de la grâce, nous devons nous revêtir de force pour accomplir en toutes choses la divine volonté.

3. Celle à qui s'adresse cette ambassade est une fille pauvre, oubliée du monde, mariée à un artisan pauvre comme elle ; et elle demeure dans une petite ville si peu estimée des Juifs, qu'à peine s'imaginent-ils qu'il puisse sortir quelque chose de bon de Nazareth a. Mais, par contre, elle est très sainte et très pure ; ce qui la rend si estimable devant Dieu, qu'il la préfère aux filles des rois et des empereurs de la terre. Car, aux yeux de ce souverain Juge, il n'y a point d'autre grandeur que la sainteté. C'est ainsi que nous devons juger nous-même, estimant uniquement ce que Dieu estime.

4. L'objet de l'ambassade est d'obtenir de cette humble Vierge qu'elle consente à accepter la maternité divine. Car la conduite du Créateur à l'égard de ses créatures est si noble, qu'il ne veut les engager dans aucune affaire difficile et importante, si elles n'y consentent librement. D'ailleurs, quoique cette maternité fût infiniment honorable, elle devait attirer après elle bien des peines. Il était donc convenable que la Vierge acceptât de son plein gré non seulement l'honneur, mais encore le fardeau, pour le porter avec plus de mérite, et le trouver plus doux et plus tolérable. — Et telle est la conduite de Dieu envers les hommes. Il ne veut ni entrer dans leur cœur par sa grâce, ni les élever à la dignité d'enfants de Dieu, sans un consentement libre de leur part, lorsqu'ils ont l'usage de la raison.

5. Enfin, considérons cette ambassade sous le point de vue spirituel, et appliquons-la à nous-même. Nous reconnaîtrons que Dieu nous envoie chaque jour des ambassades spirituelles lorsqu'il nous prévient de ses inspirations. Que sont-elles autre chose, dit saint Bonaventure, que des messagers ou ambassadeurs du Très-Haut ? Par elles, Il nous parle et nous manifeste ses volontés ; par elles, Il nous presse de lui accorder l'entrée de notre âme, et il nous exhorte à nous occuper continuellement des choses qui regardent son service. Nous devons donc, lorsque nous ressentons en nous ces saints mouvements, les recevoir avec respect comme des ambassadeurs de Dieu ; lui rendre grâces de ce qu'il daigne nous parler de la sorte ; consentir à tout ce qu'il demande de nous, et le supplier de nous faire entendre souvent sa voix.

Ô Père plein de tendresse, qui me demandez mon consentement avec autant d'amour et d'empressement que si mon intérêt était le vôtre : inspirez-moi tout ce que vous désirez que je fasse, car je suis prêt à faire tout ce que vous m'inspirerez.

Considérerons en second lieu, comment l'ange apparut à Marie, et de quelle manière il la salua. Il prit un corps formé d'air, semblable à celui d'un homme d'une grande beauté, et entra ainsi dans l'endroit où était la Vierge. Son extérieur modeste, respectueux et grave annonçait une vertu parfaite, et décelait la sainteté de celui qui était caché sous ces traits empruntés. Cet exemple nous enseigne ce que doivent être, dans leur extérieur, les hommes apostoliques, qui, selon la parole de saint Paul, sont les ambassadeurs de Jésus-Christ ; et aussi les religieux qui font profession de mener une vie angélique. Tout en eux doit respirer la sainteté et l'inspirer à ceux qui les voient.

Dès que l'ange fut entré, il salua la Vierge, usant, non de paroles mondaines, mais de paroles toutes divines que Dieu lui avait dictées. « Je vous salue, lui dit-il, vous qui êtes pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. » Cette salutation était nouvelle, ainsi que le font remarquer les Pères, et n'avait jamais été employée sur la terre. Elle avait été composée par la très sainte Trinité pour honorer Marie, pour déclarer sa sainteté et relever sa dignité aussi nouvelle que le grand mystère auquel elle se rapportait. Car, comme Jésus-Christ devait être le nouvel Adam, opposé au premier ; de même, la Vierge sa Mère devait être la nouvelle Ève, opposée à la première. C'est dans cet esprit et avec ces sentiments d'estime, qu'il convient de réciter et de méditer la Salutation angélique. Arrêterons-nous à chaque mot, pour approfondir tout ce qu'elle renferme de grandeur ; excitons en nous des affections de joie et de reconnaissance, puisqu'il est juste que nous nous réjouissions de l'élévation incompréhensible de Marie, et que nous remercions le Seigneur à qui seul elle en est redevable. Demandons enfin de participer à quelques-unes de ces grâces, et prenons la résolution d'imiter en tout ce que nous méditons ce qui est imitable.

1. JE VOUS SALUE

1. L'ange, pour manifester sa joie et ôter à la Vierge toute crainte, s'empresse de lui faire connaître qu'il est porteur d'une bonne nouvelle, et lui dit en entrant : Je vous salue. Ce qui signifie : Que Dieu vous sauve ; que la paix soit avec vous ; réjouissez-vous, et ne craignez point ; car la nouvelle que je vous apporte est une nouvelle de joie et de bonheur.

Ô Reine des vierges, de toute l'affection de mon cœur je vous salue et vous dis : Que Dieu soit votre salut, puisque c'est par vous qu'a commencé le nôtre, lorsque vous avez conçu dans votre sein notre divin Sauveur. C'est vous qui avez changé le nom d'Ève, en détournant les maux qu'elle avait attirés sur tous ses enfants, et en attirant sur nous les bénédictions célestes. Ève a été le principe du péché ; vous, vous êtes le principe de la grâce. Par Ève, la mort est entrée dans le monde ; par vous est entrée la vie. Ève nous a faits les esclaves de l'ancien serpent ; vous, vous lui avez écrasé la Miel. Réjouissez-vous, ô Vierge bénie, de l'heureux choix que Dieu a fait de vous. Donnez-moi un cœur nouveau, afin que je vous chante tous les jours un nouveau cantique de louange avec une ferveur toujours nouvelle.

2. Recherchons les causes pour lesquelles l'ange, en saluant Marie, ne la nomma point par son propre nom, et ne lui dit pas : Je vous salue, Marie, mais : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Il agit de la sorte pour nous faire comprendre que Dieu voulait donner à la Mère de son Fils de nouveaux noms très glorieux, comme il en avait donné au Messie dans l'Écriture ; noms, dont il veut qu'elle soit honorée par les fidèles dans toute l'Église. De même donc que nous appelons Salomon, le Sage, et saint Paul, l'Apôtre : ainsi veut-il que nous appelions la Vierge, Pleine de grâce, Bénie entre les femmes. Et comme le nom du Messie est Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous, de même, le nom le plus glorieux à Marie sera celui-ci : Le Seigneur est avec vous.

Ô bienheureuse Vierge, que d'autres vous nomment le Rejeton de la tige de Jessé, la Porte du ciel, le Trône de la Sagesse ; qu'ils inventent encore des noms nouveaux : pour moi, je veux vous appeler avec l'ange : Pleine de grâce, Demeure du Seigneur, Bénie entre les femmes ; je veux, pour votre gloire, publier les grandeurs renfermées dans ces augustes noms.